Cette civilisation est terminée (et pourtant, c’est une raison d’espérer)

Une croissance illimitée sur une planète dont les ressources ne sont pas inépuisables n’est pas possible. Nous le savions depuis longtemps et il semble que personne ne voulait le croire. Pourtant c’est le message dans le livre This Civilisation is Finished: Conversations on the end of Empire - and what lies beyond.  Un livre mince avec un dialogue entre Samuel Alexander, chercheur au Melbourne Sustainable Society Institute, et Rupert Read, éco-philosophe. Les sujets abordés : dire la vérité, les cygnes blancs, les scénarios d'avenir et la vulnérabilité de l’homme et de la planète.

Rupert Read

Rupert Read

Il y a quelques années, lorsque Rupert Read a fait du porte-à-porte avec des tracts du "Parti vert", les mots "Cette civilisation est finie" lui sont soudainement venus à l'esprit. C'était une sorte de mantra qu’il a entendu ensuite pendant des journées entières. 

Rupert Read, professeur de philosophie à l'université d'East Anglia et membre principal de la branche politique d’ Extinction Rebellion (XR) a écrit ses pensées, mais n'a pas voulu les partager avec qui que ce soit. Il avait peur d'être traité de défaitiste, de traître. Peur que les gens trouvent son histoire terrible et démoralisante.

Le contraire s'est avéré vrai lorsqu'il s'est mis à la partager : les gens semblaient trouver son histoire très rafraîchissante. On lui a souvent dit :  « Enfin, quelqu'un qui raconte ce qui se passe vraiment ».

Le livre que Rupert Read a écrit à ce sujet avec Samuel Alexander est dur, très dur. Et quelque part, même si cela peut paraître bizarre en cette période de crise et de confinement, cela me rassure. 

En effet, depuis des années, je sens que la fin de cette civilisation est proche. En 2017, j'ai interviewé les collapsologues Pablo Servigne et Raphaël Stevens qui, dans leur livre Comment tout peut s'effondrer, mettent en garde contre l'effondrement de notre civilisation industrielle.

Quelle est cette civilisation qui est terminée ?

J'ai contacté Rupert Read et Samuel Alexander. Ils n'ont malheureusement pas eu le temps de m’accorder un entretien. Ils ont d'autres choses à faire en ce moment. Je le comprends. Dès lors, je me suis basé sur d’autres sources pour me pencher sur leurs idées : des citations d’une interview que Manda Scott a eue avec Rupert Read pour son podcast Accidental Gods. Une brillante série d'interviews que je vous recommande. Asseyez-vous un instant...

Ce que Rupert entend par "cette civilisation est finie" est que l'influence dominante du capitalisme mondialisé touche vraiment à sa fin. Ce qui change évidemment tout à fait la donne. Rupert voit trois scénarios possibles pour l'avenir :

1. Cette civilisation s'effondre complètement et irrévocablement en raison de l'instabilité de notre climat. C'est en fait aussi le message de  Pablo Servigne et Raphael Stevens et celui de l'ancien ministre français de l'écologie Yves Cochet, le fondateur de la collapsologie.

Bien que, selon Rupert, les chances soient très, très faibles, il y a toujours une possibilité que nous puissions empêcher cet effondrement total. Mais même si nous réussissons ce pari improbable, cela ne voudra pas dire que la civilisation, telle que nous la connaissons aujourd'hui, peut subsister.

2. Cette civilisation parvient à semer les graines d'une ou plusieurs civilisations futures. Rupert Read écrit à ce sujet : “Cette deuxième option est très difficile à imaginer, mais elle est - je crois - très probable.” En fait, c'est la raison pour laquelle Rupert a entamé un dialogue avec Samuel Alexander :pour avoir un échange d’idées afin de pouvoir emprunter cette voie.   

3. Cette civilisation parviendra en quelque sorte à se transformer. À propos de cette option, il écrit que presque tout le monde dans le mouvement environnemental est fixé sur ce scénario, ne voulant pas envisager moins que cela.  

Dans l'interview de Manda Scott, il dit à ce sujet: "Pour y parvenir, nous devrons faire quelque chose de très exceptionnel et sans précédent. Nous ne pouvons pas parier que nous allons réussir".

Quel que soit le scénario, on peut donc conclure que la civilisation actuelle est bel et bien terminée. Et le pire selon lui, c’est que nous le savions depuis pas mal de temps déjà. A ce propos, l'effondrement que nous vivons à l’heure actuelle avec le coronavirus, ce n’est pas un cygne noir, mais bien un cygne blanc. 

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Le coronavirus est un cygne blanc

La théorie du cygne noir, développée par le statisticien Nassim Nicholas Taleb, est une théorie selon laquelle on appelle un cygne noir u certain événement imprévisible qui a une faible probabilité de se dérouler et qui, s’il se réalise, a des conséquences d’une portée considérable et exceptionnelle.  Pensez aux  ouragans Katrina, qui a inondé la Nouvelle-Orléans et Sandy, qui a inondé une partie de New York.   

Le point que Rupert fait valoir dans le livre est que la crise écologique et climatique dans laquelle nous nous trouvons maintenant et même le coronavirus ne sont pas de cygnes noirs. Nous savions que des choses terribles allaient se passer. Par ailleurs, tout récemment les aiguilles de la Doomsday Clock ont été ajustées à  moins de 2 minutes avant minuit.

Oui, le coronavirus est une catastrophe. Mais non, ce n'est pas quelque chose qui nous attaque de manière inattendue. Bill Gates, et je suis sûr qu'il n'est pas le seul, a prédit une pandémie dans son TED-talk de 2015 The next outbreak. We’re not ready

C'est ce qu'il dit: “Si quelque chose doit faire plus de 10 millions de morts dans les prochaines décennies, ce sera plutôt un virus hautement contagieux qu'une guerre. Les microbes seront probablement plus dévastateurs que les fusées. C'est en partie parce que nous avons beaucoup investi dans la dissuasion nucléaire, et très peu dans un système visant à stopper une épidémie. Nous ne sommes pas prêts pour la prochaine épidémie.”

Bill Gates parle dans ce discours  d'Ebola et de la façon dont sa propagation a été empêchée par des soignants observateurs (il les qualifie d'héroïques, tout comme le font maintenant les médias) et parce que les gens étaient si malades qu'ils ne pouvaient pas du tout sortir et que la maladie n'atteignait pas les grandes villes.

Mais Bill Gates dit: "Peut-être que la prochaine fois, nous n'aurons pas autant de chance. Avec le prochain virus, on peut se sentir assez bien, tout en étant contagieux, pour prendre l'avion ou aller au marché. [...] Il y a donc un sérieux problème. Nous devrions être inquiets".

Malheureusement, la réalité d’aujourd’hui prouve qu’il avait raison. Est-ce que le virus sera fatal pour plus de 10 millions de personnes ? Je ne le crois pas. Mais il y a d’autres virus qui nous menacent: les scientifiques affirment que dans le permafrost qui fond maintenant rapidement à cause du changement climatique, il peut y avoir des centaines de virus potentiellement beaucoup plus dangereux que le coronavirus. 

L’échec des médias de masse

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Autre leçon très importante du livre This civilisation is finished: à la première page Samuel Alexander écrit que la grande majorité des universitaires, des scientifiques, des militants et des hommes politiques censurent leurs propres travaux et idées: "Si nous ne nous trouvons jamais dans des espaces d'ouverture débridée, nous ne saurons peut-être même pas ce que nous pensons vraiment, et nous pourrions même nous cacher nos vérités.

Dans le quatrième chapitre, Rupert écrit que “l'une des principales raisons pour lesquelles cette civilisation a pris fin et pour lesquelles l'effondrement est si probable maintenant, est l'incapacité des médias à être honnêtes sur l'horrible perte de biodiversité et sur le changement climatique provoqué par l'homme.”  

En d’autres termes: il est difficile de dire la vérité. Avec Geert Degrande, j'ai lancé la plateforme journalistique sur laquelle vous lisez cette histoire maintenant. Plutôt que de réinventer la roue, nous aurions préféré collaborer avec les médias classiques.

Mais de De Tijd, De Standaard, De Morgen et Knack n’ont même pas voulu réagir à notre demande de discuter sur la possibilité de nous faire écrire pour eux des dossiers  sur ces thèmes et nos pourparlers avec la plateforme Bloovi pour laquelle nous écrivions déjà n’ont pas abouti non plus.   

Cela ne nous a pas découragé: nous avons démarré notre campagne de crowdfunding pour réaliser notre ambition: parler vrai sur ces sujets difficiles et souvent censurés.

Vulnérabilité

Ne pas se censurer appelle à la vulnérabilité. Outre la souffrance humaine, la crise  du coronavirus actuelle montre aussi que nous sommes incroyablement vulnérables. Selon Rupert Read, le fait que le message alarmant d’ Extinction Rebellion ne reste pas dans l'esprit de beaucoup de gens est dû au fait que beaucoup de gens ne ressentent pas le sentiment de vulnérabilité.

Dans le podcast Accidental Gods, il déclare qu'il souhaite que les actions de XR soient couronnées de succès en 2020. Peut-être le coronavirus aura donc finalement contribué au succès de XR.   

Rupert pense que la crise climatique et écologique à laquelle nous sommes confrontés est clairement politique. Clairement économique. Mais aussi très clairement spirituel.

Spirituel au sens large du terme. Qu'à l'avenir, si nous ne périssons pas complètement, nous serons en quelque sorte beaucoup plus à l'écoute, à l’écoute de la nature, à l’écoute de nos proches, de la vie et du sens. 

Richard Buckminster Fuller a déclaré: "'On ne change pas les choses en combattant la réalité existante. Pour changer quelque chose, il faut construire un nouveau modèle qui rend le modèle existant obsolète". 

Pour construire ces nouveaux modèles, il faut des éléments de base. Les histoires que nous mettons en valeur sur cette plateforme sont ces éléments de base qui ouvrent de nouvelles voies dans l'économie, l'éducation et la société. Faire connaître les idées inspirantes de plusieurs penseurs et attirer l’attention sur les actes de différents acteurs, telle est la vérité que nous voulons partager sur re-story. 

Remerciements

Je voudrais conclure cet article avec quelques remerciements.

Tout d'abord à Rupert Read et Samuel Alexander pour This civilisation is finished. Un livre qui ouvre les yeux de ceux qui veulent écouter et qui soutient ceux qui sont déjà conscients de la transformation que nous vivons. Je promets par la présente à Rupert et Samuel que je dirai la vérité et que je partagerai les idées de leur livre.  

Parce qu'une interview n'était pas possible, j'ai utilisé des citations de l'interview que Manda Scott a enregistrée avec Rupert Read dans le onzième épisode de son podcast Accidental Gods. Une liste incontournable. Je vous suggère d'écouter l'épisode en entier. Je vous suggère également de parcourir les autres podcasts réalisés par Manda.


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