Thomas Kolster: “La question la plus importante à laquelle les marques et les grandes entreprises doivent répondre aujourd’hui est la suivante: “Qui pouvons-nous aider les gens à devenir?”

Thomas Kolster, pionnier internationalement reconnu de tout ce qui a à faire avec l’économie durabele et également connu sous le nom de M. Goodvertising, en a fini avec le mot ‘purpose’ et revient partiellement à ses anciennes convictions. Il met en garde les marques contre l’utilisation du mot ‘durable’: il appelle cela un ‘hero trap’, le piège de l’héros. Si vous essayez de voler comme Superman, vous tombez droit sur votre visage. Selon le Danois, il est grand temps d'adopter une nouvelle approche marketing qui fasse passer les gens en premier et rende possible une vie meilleure. Il voit un passage de la ‘finalité’ à une promesse de transformation, comme il l'explique dans son nouveau livre The Hero Trap: How to Win in a Post-Purpose Market by Putting People in Charge. “Le changement et la transformation ne commencent pas par le Pourquoi, il commence par le Qui. Les marques qui inspirent et transforment les gens se posent la question suivante: qui pouvons-nous aider les gens à devenir?”

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J'appelle Thomas Kolster en vidéo. Il est à Copenhague, sa ville natale, où il ne passe normalement pourtant pas beaucoup de temps.  Mais qu’est-ce qui est encore normal en l'an 2020? “Le monde a définitivement changé depuis la dernière fois que nous nous sommes rencontrés”, rit-il lorsque nous nous regardons virtuellement dans les yeux via Whatsapp. Cette dernière fois, c'était en novembre 2019 lors de la journée ‘Purpose Day’ à Rotterdam, où nous étions tous les deux présents comme orateurs.

D’une part  il est content de ne pas se retrouver pour la enième fois dans un avion pour aller donner un discours, mais d'un autre côté, il admet que la situation actuelle est difficile pour lui: “Honnêtement, la plus grosse partie de mon travail consiste à aller parler pour des discours, des master classes et des ateliers pour des marques et des agences. L n’y a actuellement plus rien de tout cela qui reste possible. 

Je fais également du conseil pour un certain nombre de clients. Certains projets ont maintenant été reportés, d'autres ont été interrompus. Pour deux de mes clients dans le secteur du voyage, il reste à voir s'ils survivront à la crise du coronavirus.”

 Le fossé entre le travail et les valeurs 

À 21 ans, Thomas Kolster commence comme copy dans une agence de publicité. Il est devenu directeur créatif et a fini par créer sa propre agence pour se rendre compte après dix ans que quelque chose devait changer. 

Thomas: “Je dirigeais une agence de publicité de taille moyenne à Copenhague avec des clients principalement danois. Ce travail ne m’enthousiasmait pas trop et je n'avais pas le sentiment qu'il reflétait ma vie personnelle ou qu’il me permettait de déployer toute ma personnalité. 

La conférence sur le climat, COP15, organisée à Copenhague, m’a ouvert les yeux, parce que en fin de compte rien n’y avait été décidé.”  

Il en avait fini avec le capitalisme débridé et le consumérisme que son industrie représentait. Mais surtout avec l'inadéquation entre son travail et ses propres valeurs. Il s'est rendu compte que les gens n'avaient pas vraiment besoin de toutes les voitures, ni des  hamburgers et des prêts qu'il a contribué à promouvoir de manière si créative.

Mr. Goodvertising

En réfléchissant sur la question de savoir comment il pouvait faire la différence, il a conçu son premier livre, Goodvertising. Cela lui a valu le surnom de Mr. Goodvertising. Avec ce qu’il explique dans ce livre, il voulait faire comprendre aux spécialistes du marketing que leur voix et leur travail comptent vraiment pour façonner un monde meilleur. Que la créativité et la communication sont des outils puissants pour cela.

Je voulais faire comprendre aux spécialistes du marketing que leur voix et leur travail sont réellement importants pour la conception d’un monde meilleur. Je voulais leur dire que la créativité et la communication sont des instruments très importants à cet effet.

Thomas: "Mais les spécialistes du marketing n'étaient pas vraiment intéressés. Le monde des agences restait assez indifférent. Il réagissait avec un ‘Et alors?’ digne de celui de François Mitterand quand les journalistes avaient découvert l’existence de Mazarine.  Les premières personnes qui m'ont laissé entrer, et je leur en suis toujours reconnaissant, sont celles qui ont travaillé sur la durabilité.

Lors de conférences, j'ai parlé du rôle des marques et du marketing dans la durabilité. Cela a jeté les bases d'une plus grande sensibilisation et, soudainement toutes ces marques ont commencé à parler du climat et de la durabilité, des choses que je n'avais jamais entendues dans ma carrière auparavant.

C’est d’ailleurs assez bizarre qu’il a fallu attendre si longtemps, car nous avions déjà accès à toutes ces informations à l'époque. Malgré tout cela, force est de constater que la majorité des gens font encore aujourd’hui confiance marques et aux entreprises non durables.”

Le piège du héros 

Thomas Kolster atteint ainsi le deuxième grand tournant de sa vie professionnelle. Tout comme il y a huit ans, ses réflexions ont donné lieu à la publication d’un livre. Son second. Lui donner un titre, c'était comme trouver un nom pour votre enfant. 

Au début du livre, dont The Hero Trap est devenu le titre, il énumère une liste de titres qui avaient été choisis ‘presque’, qui purraient avoir été choisis: ‘Change in a heartbeat’, ‘Superbrand is dead’, 'Buyings means less, being is everything’, ‘From living bigger to living better’, ‘A war on self-actualisation’, ‘Dear brand, challenge me’, ‘Brand Catalists’, ‘Butterfly brands give people wings’, ‘From reaching people where they are to reaching who they are’, ‘If not you, who’, ‘The Great Human Potential’, ‘Empowerability’, ‘Change starts with who’ ‘Post-Purpose’ ... 

La liste est encore plus longue, mais cette énumération donne déjà une idée de ce que vous pouvez attendre de The Hero Trap et du message que Thomas Kolster veut répandre.

Fin de ‘purpose’ 

 Le mot ‘Post-Purpose’ apparaît finalement dans le sous-titre. ‘How to Win in a Post-Purpose Market by Putting People in Charge’ qui explique aussi ce que Thomas Kolster entend par ‘le piège du héros’: tout centrer sur le message de la durabilité peut s’avérer être un piège. 

La principale raison pour laquelle les marques ont commencé à se concentrer sur la durabilité, écrit-il, est que le marketing et la publicité ne fonctionnaient plus aussi bien. La confiance du public avait totalement ou partiellement disparu. 

Le marketing et la pub ne fonctionnaient plus très bien. C’est la raison principale qui a amené les marques à s’occuper de la durabilité

Il écrit à ce sujet dans l'avant-propos: "J'étais l’un des précurseurs de l’économie durable, mais je ne crois plus qu'il faille mettre les organisations ou les dirigeants sur un piédestal à cause de leur engagement à changer: si vous essayez de voler comme Superman, vous risquez de tomber. Si nous voulons vraiment créer un changement, nous devons faire passer les gens en premier. En d’autres termes: les gens viennent avant tout; même avant le pourquoi et le comment tant loués par Simon Sinek. 

Thomas: "La durabilité et le sens – le ‘purpose’ - garderont certes une très grande importance et une énorme valeur, mais la façon dont les marques ont récupéré ces concepts ne me plaît pas.  Elles essaient de jouer eux-mêmes le rôle du héros. Les gens n'acceptent plus cela. Soyons clairs: il ne s'agit pas toujours d'un lavage de cerveau: elles ont des valeurs fortes, mais si tout le monde revendique ces valeurs, cela ne suffit plus pour faire la différence.”

N’est-ce pas un peu dangereux de dire cela, alors que 99,9 % des entreprises commencent à peine à comprendre ce que signifie exactement une économie durable et un capitalisme de conscience?
“Je m’en rends très bien compte, mais c’était aussi le cas quand j’étais le premier à parler de ‘goodvertising’, de publicité pour le bien du monde.”

Le nerf de la guerre c’est le ‘Qui’

Les économistes nous ont dit que nous ne sommes motivés que par l'argent et le statut, mais la vérité inhérente qui traverse l'âge, la culture et le sexe révèle une force plus forte: nous voulons être responsables de notre propre vie et de notre propre bonheur

Selon Mr. Goodvertising, la grande question à laquelle les marques et les entreprises doivent maintenant répondre est dès lors la suivante: qui pouvez-vous aider les gens à devenir? Cela vous oblige à penser différemment à votre mission. Thomas KOlster s’en est rendu compte lors d’une retraite à Malaga.  

Thomas: "Nous sommes nous-mêmes le plus grand obstacle au changement qui doit se produire. Pour réaliser vraiment un changement, il nous faut des leaders visionnaires.  

Après avoir analysé les missions, exprimées dans leur ‘mission statement’ de 4.500 entreprises, je suis arrivé à la conclusion qu'il est grand temps d'adopter une nouvelle approche qui soit beaucoup plus centrée sur les personnes et qui permette une vie meilleure. 

Il s'agit plus du Qui que du ‘Pourquoi’ que Simon Sinek met tant en avant. Le changement ne commence pas par le ‘Pourquoi’, le changement commence par le ‘Qui’. Les marques qui inspirent et transforment les gens se posent la question suivante: qui pouvez-vous aider les gens à devenir?

Réalisation de soi 

Thomas: "Maintenant que nos besoins matériels ont été satisfaits, il est temps d’aller un pas plus loin, comme Maslow l'a appelé dans sa Pyramide des besoins. C'est ce qui me frappe maintenant, pendant la pandémie: les gens n'achètent pas des choses, ils adoptent un nouvel état d'esprit d'amélioration et de réalisation de soi.”

“Oui, c'est effectivement une approche spirituelle. Je pense que dans les pays occidentaux, le moment est venu pour faire ce pas. Nous sommes tous à la recherche de meilleures connexions sociales, d'une meilleure santé et de l'acquisition de nouvelles compétences.

Il y a tant de rôles super intéressants que les marques peuvent jouer pour aider les gens à faire cela. Je appelle cela l’ empowerability: transformer les personnes d'un groupe cible en participants actifs au marketing mix. Pour qu'ils puissent se réaliser. Il s'agit d'un passage du pouvoir: il n’est plus chez les entreprises, mais bien chez les gens."

Promesse de transformation

Thomas Kolster voit donc après le ‘purpose’, le sens et la durabilité une nouvelle promesse de transformation.
Thomas: "Je sais que cela ne semble pas si facile, mais c'est comme ça que je l'ai appelé: une promesse de transformation. C'est la promesse d'un changement que vous pouvez apporter dans la vie des gens. 

Ce n'est que plus tard dans le processus que je me suis rendu compte qu'il y a des marques qui ont une promesse de transformation au cœur de leur activité. Des marques comme Apple et Nike comprennent que ce qu'elles vendent a un sens dans la vie des gens. Il ne s'agit pas seulement d'un téléphone ou d'une paire de chaussures.

À la fin de chaque chapitre de son livre, Thomas Kolster énumère un certain nombre de points clés à retenir et de questions à se poser.

Pour le chapitre sur la promesse de transformation, il résume que la promesse est un engagement à contribuer à un changement positif qui est présent dans le for intérieur des gens. Que la promesse les motive et augmente les chances de combler le fossé entre l'intention et l'action. Il est donc centré sur l'homme, transformateur, spécifique, actif et opérationnel. L'accent mis sur la transformation personnelle permet également de tenir la promesse de manière pertinente et engageante pour l'ensemble de l'organisation.

Quand? 

Lorsque je demande à Thomas Kolster au début de la conversation s'il est un penseur ou plutôt un acteur, il commence sa réponse par "Je pense..." et nous rions.
"Alors un penseur", dis-je.
"Non, pas du tout", dit-il en riant, "mon but et la raison pour laquelle je fais ce que je fais, c'est d'être un catalyseur du changement. J'espère que mon livre sera utilisé pour transformer les gens, les organisations et les dirigeants.”

Et on peut dire que ce que Thomas Kolster fait avec Le Piège à Héros, c'est mettre en pratique ce qu’il prêche. À un tournant de sa vie, il a certainement trouvé avec ce livre une réponse à la question: qui? Il a jeté son maillot de ‘pionnier’ de l’économie du sens et porte maintenant une autre vareuse, celle du catalyseur du changement.  

The Hero Trap est un livre axé sur le changement, qui a un but précis, qui est réalisable concrètement et qui a du sens. Une partie importante du livre est une ‘boîte à outils de transformation’ qui permet d'apporter des changements en formulant la promesse de transformation, en trouvant le ‘Qui’ et toutes sortes de listes de contrôle.

Les entreprises doivent avoir des impératifs pour faire changer les gens. Mais il leur faut aussi une date limite. Un ‘quand’ assure que l’urgence du ‘comment’, ‘quoi’, ‘pourquoi’ et ‘qui’ soit comprise.

C’est la raison pour laquelle le ‘quand’ fait aussi partie du modèle de Kolster, car sans date limite, l’urgence des autres éléments n’est pas assez évidente.

Les entreprises doivent avoir des impératifs pour faire changer les gens. Mais il leur faut aussi  une date limite. Un ‘quand’ assure que l’urgence du ‘comment’, ‘quoi’, ‘pourquoi’ et ‘qui’ soit comprise.


Le livre  The Hero Trap: How to Win in a Post-Purpose Market by Putting People in Charge paraît le 25 juin chez Routledge. Couverture par Edel Rodriquez et illustrations par Martin Jørgensen. Vous pouvez commander le livre ici

Lancement virtuel du livre le jeudi 25 juin à 15 heures via live-stream sur Facebook et Instagram. Vous pouvez vous enregistrer gratuitement ici.